Depuis une période relativement récente, l’enseignement du français de spécialité est donné dans de nombreux établissements universitaires. L’enseignement du français juridique est également effectué dans les établissements qui forment des professionnels du droit. Cet enseignement pose des difficultés majeures tant aux apprenants qu’aux enseignants. En effet, le droit s’exprime par un langage spécifique qui n’est pas facile à comprendre. D’ailleurs, les sources utilisées à l’appui de cet enseignement sont des documents authentiques dont la jurisprudence (ensemble de décisions rendues par les juridictions) est connue comme cauchemar pour les étudiants. Or, la familiarisation avec le vocabulaire utilisé, le style rédigé, le raisonnement entrepris par le juge dans ces documents constituent des conditions préalables permettant aux apprenants de travailler, plus tard, en français, dans leur domaine de spécialité. L’enseignement effectué est donc un enseignement qui ne se contente pas de donner des équivalents en langue maternelle (qui n’existent pas toujours, d’ailleurs) par la simple traduction textuelle mais de faire acquérir en même temps la culture juridique, la façon de raisonner en droit. Cela semble aller de soi car le vocabulaire juridique véhicule en soi non seulement son contenu sémantique mais encore la culture juridique d’un Etat déterminé, la logique et le raisonnement du juge quand il doit résoudre un problème juridique. C’est ainsi qu’on travaille souvent sur des jugements des juridictions françaises. Ces documents ne sont pas faciles à comprendre car ils sont rédigés dans un style spécifiquement juridique et l’argumentation développée par le juge n’est pas non plus facile à saisir, même si le vocabulaire semble connu par le lecteur. En effet, quand nos étudiants doivent analyser une décision de justice, ils n’arrivent pas à distinguer les arguments allégués par les parties de ceux avancés par les juges. Ils n’arrivent pas à comprendre, non plus, pourquoi le juge a pris telle ou telle décision, quelle est la position du juge vis-à-vis de la thèse prétendue, quelle est la démarche qu’il va suivre lorsqu’il y a une affaire portée devant lui, quelle est son argumentation, etc.
Le terme “argumentation” n’est pas étranger pour nos étudiants mais “l’argumentation entreprise par le juge” ne leur paraît pas évidente car elle implique tout une démarche intellectuelle qu’il doit suivre en répondant à une question de droit.
En quoi consiste l’argumentation ? Quel rôle a-t-elle joué dans la décision du juge ? Comment l’argumentation s’articule-t-elle dans le discours juridictionnel ? Telles sont les questions auxquelles nous tenons à répondre en menant notre recherche qui porte sur l’argumentation dans la décision de justice.
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons étudié seulement la décision de justice des juridictions judiciaires françaises. Faute de temps et d’accès aux documents vietnamiens, nous ne pouvons pas travailler sur la décision des juridictions vietnamiennes, ce qui ne nous a pas permis de faire une comparaison, dans ce domaine, entre deux systèmes. Mais nous espérons l’aborder dans les prochaines recherches.
Pour réaliser cette étude, nous adoptons une méthodologie descriptive, analytique : décrire et analyser la décision de justice à travers des jugements, des arrêts rendus par les juridictions françaises afin de dégager le schéma argumentatif entrepris par le juge quand il doit se prononcer sur une question de droit, ce qui pourrait être bénéfique à nos étudiants dans l’acquisition des techniques d’argumentation en général et en droit en particulier au cours de leur apprentissage du français juridique.
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INTRODUCTION
Depuis une période relativement récente, l’enseignement du français de spécialité est donné dans de nombreux établissements universitaires. L’enseignement du français juridique est également effectué dans les établissements qui forment des professionnels du droit. Cet enseignement pose des difficultés majeures tant aux apprenants qu’aux enseignants. En effet, le droit s’exprime par un langage spécifique qui n’est pas facile à comprendre. D’ailleurs, les sources utilisées à l’appui de cet enseignement sont des documents authentiques dont la jurisprudence (ensemble de décisions rendues par les juridictions) est connue comme cauchemar pour les étudiants. Or, la familiarisation avec le vocabulaire utilisé, le style rédigé, le raisonnement entrepris par le juge dans ces documents constituent des conditions préalables permettant aux apprenants de travailler, plus tard, en français, dans leur domaine de spécialité. L’enseignement effectué est donc un enseignement qui ne se contente pas de donner des équivalents en langue maternelle (qui n’existent pas toujours, d’ailleurs) par la simple traduction textuelle mais de faire acquérir en même temps la culture juridique, la façon de raisonner en droit. Cela semble aller de soi car le vocabulaire juridique véhicule en soi non seulement son contenu sémantique mais encore la culture juridique d’un Etat déterminé, la logique et le raisonnement du juge quand il doit résoudre un problème juridique. C’est ainsi qu’on travaille souvent sur des jugements des juridictions françaises. Ces documents ne sont pas faciles à comprendre car ils sont rédigés dans un style spécifiquement juridique et l’argumentation développée par le juge n’est pas non plus facile à saisir, même si le vocabulaire semble connu par le lecteur. En effet, quand nos étudiants doivent analyser une décision de justice, ils n’arrivent pas à distinguer les arguments allégués par les parties de ceux avancés par les juges. Ils n’arrivent pas à comprendre, non plus, pourquoi le juge a pris telle ou telle décision, quelle est la position du juge vis-à-vis de la thèse prétendue, quelle est la démarche qu’il va suivre lorsqu’il y a une affaire portée devant lui, quelle est son argumentation, etc.
Le terme “argumentation” n’est pas étranger pour nos étudiants mais “l’argumentation entreprise par le juge” ne leur paraît pas évidente car elle implique tout une démarche intellectuelle qu’il doit suivre en répondant à une question de droit.
En quoi consiste l’argumentation ? Quel rôle a-t-elle joué dans la décision du juge ? Comment l’argumentation s’articule-t-elle dans le discours juridictionnel ? Telles sont les questions auxquelles nous tenons à répondre en menant notre recherche qui porte sur l’argumentation dans la décision de justice.
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons étudié seulement la décision de justice des juridictions judiciaires françaises. Faute de temps et d’accès aux documents vietnamiens, nous ne pouvons pas travailler sur la décision des juridictions vietnamiennes, ce qui ne nous a pas permis de faire une comparaison, dans ce domaine, entre deux systèmes. Mais nous espérons l’aborder dans les prochaines recherches.
Pour réaliser cette étude, nous adoptons une méthodologie descriptive, analytique : décrire et analyser la décision de justice à travers des jugements, des arrêts rendus par les juridictions françaises afin de dégager le schéma argumentatif entrepris par le juge quand il doit se prononcer sur une question de droit, ce qui pourrait être bénéfique à nos étudiants dans l’acquisition des techniques d’argumentation en général et en droit en particulier au cours de leur apprentissage du français juridique.
Au fil de notre recherche, nous tenons à analyser, dans le premier chapitre, la décision de justice (ou le discours juridictionnel) sous différents aspects (ses particularités, ses composants, sa structure) ; une étude globale sera consacrée, dans le deuxième chapitre, à la théorie de l’argumentation ; et dans le troisième et dernier chapitre, nous mettons plus de temps pour examiner l’articulation de l’argumentation dans le domaine du droit et tout particulièrement dans le discours juridictionnel.
Le plan de notre recherche est donc le suivant :
Premier chapitre : La décision de justice
Deuxième chapitre : L’argumentation
Troisième chapitre : L’argumentation juridique
Chapitre 1
LA DÉCISION DE JUSTICE
Avant d’explorer comment l’argumentation se voit jouer dans la décision de justice, il nous conviendrait d’examiner, en premier lieu, ce que c’est une décision de justice (I), ses particularités (II), ses composants (III), sa structure (IV) ce qui induit la spécificité de son argumentation que l’on va traiter dans les chapitres qui suivent.
I. Notions
Au point de vue institutionnel, la décision de justice est un acte officiel par lequel un organe étatique investi du pouvoir de juger (dont le juge est le représentant) rend justice aux justiciables, c’est-à-dire la réponse du juge à la demande des parties.
Au point de vue communicationnel, la décision de justice est connue sous un autre nom : le discours juridictionnel qui se voit sous deux aspects linguistique et juridique.
La notion de décision de justice est donc abordée ici tant en perspective communicationnelle qu’en perspective institutionnelle.
1. Le discours juridique
“Le discours juridique est, en fait, la mise en oeuvre de la langue naturelle, par la parole, au service du droit. Il est donc, tout à la fois, un acte linguistique et un acte juridique” G. Cornu. Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 211.
.
Selon les sujets du discours, le type de message et le mode d’expression, le discours juridique se range en trois types principaux :
Le discours législatif (le texte de loi)
Le discours coutumier (les maximes et adages du droit)
Le discours juridictionnel (la décision de justice)
Dans le cadre du présent mémoire, seul le discours juridictionnel entre dans notre champ de recherche qui étudie principalement le raisonnement du juge dans sa décision, c’est-à-dire l’argumentation engagée par le juge en tranchant une question de droit. Nous n’avons donc pas à examiner les deux premiers types qui font l’objet d’une autre recherche.
2. Le discours juridictionnel
Le discours juridictionnel est un discours juridique qui s’exprime principalement par écrit, constituant le corps de la décision de justice.
Au point de vue linguistique, le discours juridictionnel appartient à l’usage de la langue. “Il existe du fait qu’à un moment donné, dans des circonstances données, quelqu’un exprime quelque chose par des signes linguistiques qu’il destine à quelqu’un d’autre” Gérard Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien 2000, p. 211.
. Comme tout discours, le discours juridictionnel entre dans le schéma de la communication verbale Gérard Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien 2000, p. 222.
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--------------- > Enoncé --------------->
Emetteur canal ou Destinataire
----------------> Message --------------->
code Référent
Au point de vue juridique, le discours juridictionnel porte la marque de celui qui parle (le tribunal dont son représentant, le juge pour l’essentiel, l’avocat, le ministère public) : sa personnalité, le vocabulaire qu’il emploie, le style qu’il utilise (tournure, présentation, etc.). Il est bien vrai que le langage juridictionnel se signale, et même se singularise souvent, par ses traits stylistiques qui dictent toutes ses particularités.
II. Les particularités du discours juridictionnel
Le discours juridique s’exprime principalement par écrit (1) et porte en soi toutes les marques d’authenticité (2), de régularité (3), de logique (4) qui constituent les particularités du discours juridictionnel qu’on présente ci-après :
1. Le discours juridictionnel est un acte écrit.
“Si le jugement, pris comme action de juger, est un ensemble d’opérations intellectuelles, l’accomplissement de ces opérations donne corps à un énoncé linguistique qui est nécessairement exprimé par écrit. Le jugement est rédigé. Il en reste un écrit, dressé en bonne et due forme par le greffier (le secrétaire) de la juridiction” Gérard Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien 2000, p. 355.
. L’origine de l’acte, nommé “minute” est conservée au secrétariat de la juridiction qui a rendu le jugement. Et chaque plaideur peut s’en faire délivrer une copie, nommée expédition, revêtue de la formule exécutoire. Bien entendu, le jugement emprunte aussi le canal de l’expression orale : un jugement n’existe que s’il est prononcé (il prend date à ce jour). Mais le jugement n’apparaît dans sa totalité que dans l’acte instrumentaire. “Pris comme énoncé linguistique, le discours juridictionnel n’est au complet que dans l’instrumentum” Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien 2000, p. 356
. Considéré dans sa teneur intégrale, le discours juridictionnel forme un tout. Il contient tous les éléments qui nouent les parties du discours et réunit toutes les marques qui font voir le jugement sous toutes ses facettes.
2. Les marques d’authenticité du discours juridictionnel.
L’énoncé du jugement porte les marques qui permettent de reconnaître en lui la force probante, la force d’un acte authentique. En effet, le jugement réunit dans son texte des éléments qui l’authentifient : des indications de date (la date à laquelle le jugement est prononcé, celle à laquelle l’affaire avait été plaidée, jour de débat) et des indications d’origine : la juridiction avec toutes références nécessaires (Tribunal de Nantes, première chambre ; Cours d’appel de Paris ; 1ère chambre civile, Cour de cassation), le nom des juges qui en ont délibéré (M. X, Mme Y), la signature du président et du greffier, la mise en forme de l’acte (en bonne et due forme) par le juge et le greffier dont la signature est figurée au bas de l’acte, après la formule : “Fait et jugé, le...”. Toutes ces marques d’authenticités forment un discours d’attestation greffé sur le discours principal.
3. Les marques de régularité du discours juridictionnel
Le discours juridictionnel porte en lui des marques qui permettent d’apprécier la régularité formelle du jugement. Il contient l’indication du nom du représentant du ministère public, de la dénomination des parties en cause, du nom des avocats ou des personnes qui ont représenté ou assisté les parties, du nom du greffier. Le jugement indique également la forme sous laquelle l’audience a eu lieu (en audience publique ou en chambre du conseil). “L’énoncé du jugement marque un dédoublement typique du discours juridictionnel. Pour l’essentiel, (et au premier degré), le juge statue (c’est lui qui parle). Du surcroît (au second degré), il indique lui-même comment il statue”. Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 358.
Comme les marques d’authenticité, les marques de régularité concourent à forger l’autonomie du discours juridictionnel. Elles permettent de reconstituer un programme de théâtre ou un générique de film. “Mais voici que, dans le texte même du jugement, sont rendues présentes toutes les actions des autres protagonistes du procès, les plaidoiries des avocats, les interventions du ministère public, etc.” Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 358.
Alors, le tribunal redevient un théâtre sur la scène duquel jouent les acteurs dans les rôles distribués par le jugement. La pièce judiciaire fait toujours intervenir les mêmes personnages : le juge, le ministère public, le greffier, les avocats, les parties. “L’indication des rôles et des acteurs unit l’aspect institutionnel et l’aspect personnel du discours juridictionnel.” Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 358.
4. Les marques logiques du discours juridictionnel
L’énoncé de la décision fait toujours apparaître le jugement comme un raisonnement : Il désigne celui qui raisonne (le tribunal, la cour). Il détaille les maillons du raisonnement (attendu que..., considérant que...). De ces motifs, il fait découler la conclusion (par ces motifs, débute la demande... ; par ces motifs, condamne...)
Le raisonnement juridictionnel fait intervenir alors des opérations intellectuelles qui concourent au choix de la solution du juge :
La démonstration
Tout jugement doit être motivé en fait et en droit. La motivation correspond à un type de discours qui donne corps à un développement tendant à une démonstration. Mais ce n’est qu’un canevas. Dans ses composantes, les motifs de faits et de droit, la motivation s’appuie sur un riche éventail de références qui s’expriment par des marques comme : “Attendu...”, “Considérant...”. La formule “Considérant...” indique la prise en considération, et l’autre prend appui sur l’acquis du résultat de l’examen qu’elle implique. Dans le discours juridictionnel, ces deux formules reviennent à plusieurs reprises. Elles le structurent : chaque en-tête introduit une unité de pensée, unité logique du raisonnement. Elles ordonnent le discours et le font progresser. Avec d’autres termes : ainsi, donc, en conséquence, les “attendu” forment le plus souvent des suites déductives. Par ailleurs, certains outils grammaticaux : “sur” et autres chevilles (en, au, etc.) indiquent, en tête d’un développement, le moyen ou le point dont la juridiction aborde l’examen : “sur le premier moyen”, “sur le deuxième moyen”, “sur la recevabilité”, “sur la compétence”, “sur le fond”, “en fait”, “en droit”, etc. Ces signaux codifiés annoncent des développements qui regroupent en général plusieurs motifs. Ils servent de repères aux questions qui divisent l’objet du litige. La motivation est donc exprimée par le langage de la logique. Le jugement, dans ces rapports est un discours explicatif : il explique pour convaincre.
La persuasion
La persuasion est la fin évidente de l’explication. La persuasion suppose une démarche intellectuelle du juge : “il passe de la réfutation à l’affirmation. Il dénonce une erreur pour affirmer la vérité (sa vérité, la vérité juridicière de la res judicata)” Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 347.
. Il est capital de repérer, dans la structure de l’énoncé, ce mouvement de la pensée : le juge saisit l’argument qu’il va secouer : “attendu, sur le premier moyen... que X soutient ou fait valoir que...”. Puis il intervient : “mais attendu que...”, “attendu cependant...”. Le signal de sa sentence, c’est le “mais” qui introduit la doctrine du juge. Le développement qui suit contient sa pensée même. Dans les arrêts de la Cour de cassation, sa doctrine est exprimée par la locution : “Alors que ”. Ce signe permet de distinguer les trois discours contenus dans l’énoncé de l’arrêt de la Cour suprême : la doctrine de la Cour, de celle de la décision attaquée et de celle du pourvoi.
L’interprétation
Pour justifier sa décision, le juge doit invoquer la loi qui a vocation à s’appliquer au cas d’espèce. Si la loi est suffisamment précise et claire, le juge affirme directement la règle applicable. Mais il est fréquent que le juge ait à interpréter la loi. Cette démarche fait appel à des opérations intellectuelles du juge : la recherche du sens (sens des mots : clarté, équivoque, ambiguïté), de l’intention du législateur ; la portée de la règle ; la prise en compte des données sociales, économiques, juridiques et humanitaires ; la considération d’opportunité ; l’interprétation stricte ou par extension ; l’analogie ; le comblement des lacunes, etc.
Les appréciations
Prise dans son acceptation plus large, l’appréciation désigne toute opération de l’esprit par laquelle le juge introduit dans les motifs de son jugement des données autres que la simple constatation de fait, ou la qualification de celui-ci, ou l’affirmation de la règle de droit : appréciation du fait (gravité du dommage, gravité d’une faute, la valeur d’un bien) ; l'appréciation d’opportunité (poids des circonstances économiques, sociales ou autres). Dans ce genre d’appréciation, on peut englober le pouvoir modérateur que la loi confère parfois au juge (de déroger à la loi pour des raisons d’équité ou d’ humanité) et, plus généralement, la marge de réflexion que la loi attend du juge pour l’application des notions-cadre (bonne fois, bonnes mœurs, ordre public, intérêt de la famille, du mineur, etc.). Le jugement est souvent le produit de telles appréciations. Au moins, elles entrent dans le choix de la solution. Cette observation est d’une grande importance : le syllogisme judiciaire ne se réduit pas à un exercice de la logique formelle, il dépasse la rigidité du syllogisme mathématique. “C’est en vertu du droit que la logique juridictionnelle est une logique souple” Gérard Cornus, Linguistique juridique, Montchrestien, 2000, p. 350
.
La qualification
C’est l’opération la plus savante qui fait entrer les faits qualifiés dans la sphère d’application de la règle de droit. Il s’agit d’aller de l’un à l’autre, du concret à l’abstrait, pour l’application du général au particulier. Cette opération fait intervenir un ensemble de démarches intellectuelles : l’analyse qui décompose la notion juridique en éléments constitutifs ; la synthèse qui, par abstraction, relève dans le fait les éléments qui rattachent à la notion ; la définition ; le classement ; la constitution des éléments, etc. A tire d’illustration, nous prenons un jugement (extrait) rendu par le tribunal de grande instance de Montluçon (Allier), le 26 avril 1997 J-L. Penfornis, Le français du droit, CLE International, 1998, p. 28
.
“ Faits et procédure
Le 24 août 1996, Nicolas Lebrun, alors âgé de 10 ans, se rendit à la fête de Montluçon. Il acheta trois jetons au manège forain d’auto-tamponneuses exploité par Julien Divon et monta, seul, dans une voiturette. Ce véhicule ayant été heurté violemment en arrière, l’enfant fut projeté sur le volant et blessé à la bouche.
Son père, Pierre Lebrun, imputant à Divon l’entière responsabilité de l’accident, l’a, par exploit de Maître Durand, huissier de justice à Moulin, en date du 16 septembre 1996, assigné en réparation du préjudice subi. Julien Divon, concluant au débouté de la demande, rétorque qu’il avait apposé sur son manège une pancarte ainsi libellée : “les enfants sont autorisés sous la responsabilité des parents”, et qu’il avait ainsi dégagé, par avance, sa responsabilité.
Sur quoi, le tribunal :
Attendu que l’exploitant d’un manège d’auto-tamponneuses est lié à son client par un contrat assimilable à un contrat de transport de personnes ; qu’il a donc l’obligation de conduire le voyageur et d’assurer sa sécurité ; qu’il ne peut dégager sa responsabilité par avance, par une simple pancarte. Attendu que Julien Duvon doit donc réparer intégralement le dommage subi par le jeune Nicolas Lebrun.”
Pour arriver à la conclusion, le raisonnement du juge doit passer plusieurs étapes. Tout d’abord, pour faire jouer l’article 1382 (Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer) Code civil, Dalloz, 2004, p. 1178
, il faut un dommage, une faute et le lien de causalité entre la faute et le dommage et que ce lien soit direct. En l’espèce, il y a un dommage (Le petit Nicolas a une blessure), il reste à établir la faute de Julien Divon (mais ce dernier a-t-il commis une faute ? De quel type de faute s’agit-il ?). Pour classer le contrat que Divon a passé à son client dans la catégorie des contrats de transport de personnes, le juge doit analyser les éléments constitutifs de l’objet du contrat de transport de personnes (déplacer quelqu’un d’un endroit à un autre dans un temps déterminé), puis il fait la synthèse en confondant les objets de deux contrats pour retrouver des éléments similaires (c’est déplacer une personne dans un temps déterminé). De ce fait, il a assimilé le contrat qui relie Divon et son client à un contrat de transport de personne. Divon est donc tenu par une oblig